Dressant le portrait psychologique du magistrat lors de son allocution d’ouverture du 53ème congrès de l’Union internationale des magistrats, Me Abdoulaye Wade, président de la république du Sénégal, président du Conseil supérieur de la magistrature n’y est pas allé avec le dos de la cuiller. Il est formel « Le magistrat ne veut pas être indépendant » (en Une du Populaire du mardi  9/10). Bien sûr, l’auteur de cette sentence définitive parlait de ses magistrats à lui, les juges sénégalais. Leurs hôtes présents ont dû le comprendre ainsi parce qu’aucune protestation, à notre connaissance, fort opportunément, n’a fusé de leurs rangs.  Moins opportunément, aucune protestation n’a également été enregistrée du côté de nos juges et procureurs, y compris du syndicat ; même si le président Wade, plus tranchant encore, avait aussitôt ajouté à leur destination : « C’est comme des esclaves. On les libère, ils font deux cent mètres et ils reviennent pour dire : ‘’je ne sais où aller’’ ».

C’est d’une violence inouïe ! Ça passerait pour une remarque quasiment inconsidérée parce que discourtoise vis-à-vis de serviteurs de l’Etat à un niveau si élevé ; et l’on penserait que l’absence de réaction, même de l’opinion publique, à la mesure de cette sortie, tiendrait à ce fait gravissime que les déclarations du chef de notre Etat, même vexantes ou d’une quelconque gravité, feraient maintenant plus rigoler qu’elles n’indignent ou ne mettent en colère quiconque. Cependant, et pour rester dans le vif du sujet – parce qu’il serait désastreux qu’on en arrive à vraiment prendre les paroles du président pour quantité risible– Wade est, dans ce pays, le seul qui soit en position d’asservir ou de libérer les magistrats ; il doit donc savoir de quoi il parle.

Et c’est lui qui dit que, « libérés », les magistrats reviennent apeurés à la maison du maître redemander leurs chaînes parce qu’ils ne savent « où aller ». On peut à ce stade se dire que c’est une métaphore – un trait satirique – et penser que, remis dans son contexte, le propos paraîtrait moins mordant, mais Wade se fait plus précis, abandonnant la métaphore  (page 5 du même journal) : « Si les magistrats ne veulent pas se libérer, qu’est-ce que vous voulez ? S’ils ne veulent pas se libérer des contraintes économiques de l’exécutif, on n’y peut rien ». En passant, le chef de l’Exécutif vient de nous dire que toute l’affaire tient à une question d’argent.

S’il parle d’expérience, on serait en droit de scander à l’intention du président : « Des noms ! Des noms ! ». On a du mal à croire que tous ces magistrats magnifiques dans leurs habits d’apparat, qui en imposent par la solennité de leurs postures et décident avec bonne conscience du sort des gens et du peuple –parce qu’ils sont aussi juges des élections- ont si peur de leur propre liberté d’action, en un mot de leur indépendance, à cause de « contraintes économiques ».

Comme un charcutier, mais opérant sur de la chair vive – car le président a, assis à ses côté, un magistrat controversé, le plus haut placé dans la hiérarchie, Cheikh Tidiane Diakhaté, président du Conseil constitutionnel, et face à lui la crème de la magistrature sénégalaise mêlée à celle du monde – Wade dissèque : « Il faut veiller sur la situation personnelle du magistrat parce qu’il a besoin de sécurité. Dans les pays développé, le magistrat a besoin de sécurité, mais encore plus chez nous… » Et Son Excellence ne nous laisse pas le temps de nous demander pourquoi ceux de chez nous sont plus fragiles que les magistrats d’ailleurs ; il enchaîne : «… parce qu’ici, nous nous connaissons ! ».

Ça veut dire quoi, ça ? On n’est plus dans l’analyse scientifique, le diagnostic spécialisé ou même le simple rapport informé, on est en plein dans waxtan (causeries) de Grand place. Les mots sont en français, mais culturellement Wade parle wolof : « gani, xamante nanu » dit-il à ses magistrats.

Et ça, après leur avoir dit qu’ils ne veulent pas être indépendants, à cause des « contraintes économiques » ? Si quelqu’un veut un dessin pour comprendre, c’est qu’il prend Wade pour Odia, le caricaturiste…

LE SALUT PUBLIC 
Par Pape samba Kane