PLAIDOYER POUR DES ASSISES DE LA CULTURE
Par Mamadou Sy Albert
Le Sénégal comptabilise diverses expériences dans le domaine de l’organisation d’Assises. Parmi ces dernières, on peut désigner des Assises ou des Concertations nationales au sujet des questions de gouvernance politique, de gouvernance économique et sociale. Les Assises sectorielles dans des domaines spécifiques ont également ont eu lieu dans le pays au cours de ces dernières décennies. La Culture n’a pas fait l’objet, à proprement parler, d’une réflexion nationale à sa dimension dans le développent du Sénégal et du continent. On devrait peut- être penser à des Assises nationales de la Culture. Elle constitue un des leviers essentiels de tout développement durable humain, et de tout épanouissement individuel et collectif.
Le Sénégalais est un citoyen éminemment politique. La politique est son sujet de prédilection au quotidien. Cette mentalité ne se modifie guère de génération en génération. Encore de nos jours, les problématiques relevant des politiques publiques, des actes et gestes des hommes et femmes gouvernement ou opposition, demeurent les sujets favoris au centre de toutes les préoccupations citoyennes. Ce goût singulier que l’on accorde à la politique et à ses acteurs et animateurs, explique certainement l’organisation récurrente d’Assises nationales autour de la gouvernance politique ou de la gouvernance économique. Citoyens, politiciens et opérateurs économiques nationaux partagent en commun le virus de la politique, parce qu’elle a été au fil temps, placé au centre de tout dans notre pays.
La méconnaissance de la place de la culture
Cette frénésie pour la politique, avant, pendant et après les élections, entretient des liens dynamiques avec l’histoire politique du Sénégal. La génération fondatrice du Sénégal est, certainement, l’une des générations les plus politiques du continent noir. Le Président Léopold Sédar Senghor, le Président Mamadou Dia, le Président Lamine Guèye, sans oublier du reste tous ces autres compagnons de la lutte pour l’indépendance, sont des figures emblématiques sous la première République sénégalaise. Ils ont marqué leur époque par une empreinte politique collective et individuelle indélébile.
Cet intérêt accordé à la politique aux plans national et africain, voire mondial, a été poursuivi et auto- entretenu en dépit du fait que la politique politicienne a fini par éloigner des pans entiers de citoyens du débat se politisant à l’extrême. Ces Assises nationales, toujours centrées sur la politique, constituent un exemple cristallisant son hégémonie toujours envahissante. Les autres dimensions de la vie, du développement, sont ainsi, assez souvent, reléguées en arrière-plan. La culture fait partie au fil de l’évolution et des successions générationnelles, des parents pauvres du débat public national.
Le déficit de culture des hommes et femmes politiques et des opérateurs économiques privés qui détiennent les deux leviers de pouvoir essentiels, serait-il le soubassement de ce désintérêt collectif ? La culture a-t-elle perdu sa noblesse, acquise sous le règne du Président-poète ? On ne peut répondre de manière tranchée à ces interrogations au cœur de la société sénégalaise en pleines mutations. Entre le déficit de culture générale et la perte des repères culturels autochtones, on peut au moins constater la méconnaissance de la place de la culture dans les processus de développement dans l’époque de la mondialisation de l’économie et de la globalisation des marchés. La mondialisation et la globalisation ont produit des bouleversements majeurs inattendus sur les sociétés humaines.
Le rendez-vous manqué avec une Civilisation et une Société en mutations
C’est l’uniformisation des modèles de gouvernance politique et économique et l’effacement des diversités culturelles, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication qui accélèrent ces processus à une grande vitesse. Le village planétaire globalise la Culture, la Civilisation et la Société. Le Sénégalais est ainsi plus proche, par son ressenti des modes de vie, des manières de penser et des comportements des Européens. Inversement, les Africains se transforment en de véritables consommateurs passifs de modèles culturels étrangers.
La perte des valeurs de la culture nationale et africaine est une des conséquences majeures de cette mondialisation. Dans ces conditions culturelles, quelle que soit la nature des Assises politiques ou économiques que l’on organisera, si les acteurs politiques n’envisagent pas de réfléchir sur la Culture, ils risquent d’être pris dans le piège global, laissant en rade les enjeux culturels du développement. Penser développer le Sénégal sans ce qui fait le Sénégalais, notamment la Culture et les fondements de la Civilisation panafricaine, serait une manière de se suicider politiquement et culturellement.
Les Assises de la Culture pourraient permettre à la société sénégalaise de se regarder dans le miroir culturel national avant celui de la planète mondialisée. La culture est indispensable à tout projet de développement humain durable. Elle englobe la religion, les manières de penser, de vivre, de se comporter et de penser soi –même et sa société dans le monde. Quand on perd ce qui fait un être humain, sa différence, c’est-à-dire sa culture, on entre de plain-pied précisément dans l’engrenage d’un cycle de dépendance culturelle, de dépersonnalisation du caractère de l’individu. L’épanouissement individuel et collectif sera alors absent du rendez-vous avec une civilisation et une société mondiale en profondes mutations socioculturelles.
Mamadou Sy Albert
Ce texte est illustré par une peinture du regretté Séni
Commentaire(1)
comment Badou
20/09/2019 à 16:32Le déficit culturel des ” Énarques” est celui qui me choque le plus…on sort de cette prestigieuse école la tête pleine de théorie administrative et … presque vide de Culture nationale…