«Et à tire d’Elles/ Sans ailes/ Autres/ Que mon désir d’Elle/ M’envolerai-je/ Fou d’Elle »

Tout commença par Dona Ashe, la femme- muse, la femme-amour. C’est à cette femme qu’est dédié le recueil de poèmes. C’est elle, certainement, qui nous a valu ces cent-dix-neuf pages pleines de poésie, pleines d’amour même si l’œuvre est un hymne à toutes les femmes qu’elles s’appellent « Karara », « M… » ou qu’elles soient  une « Princesse »,  une « Tutsi rayonnante », une « Amie », «  L’Étoile du désert de Lompoul », la « Muse affolante » ou les « Ève »…

Ces poèmes balbutiés[sont des] chants inaboutis, [des]cris du cœur véritables[et des]sueurs et larmes d’un cœur brûlé au feu de la passion d’aimer une femme. De l’admiration sans borne aussi et de l’affection inaltérable pour toutes les femmes du monde.[1]

 Amour et poésie

      Après Sabaru Jinne, roman qui a suscité un intérêt tout particulier aussi bien chez les lecteurs que chez certains écrivains et universitaires, paraît  A tire d’elles, le premier recueil de poèmes de Pape Samba Kane, journaliste à l’esprit critique, aux écrits souvent satiriques.  De la poésie ? Eh oui ! Cela surprend un peu… Mais PSK est non seulement un poète, mais aussi un « poète amoureux de l’Amour »[2].  C’est un « SDF de l’esprit », avait dit Mamoussé Diagne. Un écrivain qui valse entre  les arts, libre. Libre comme l’amour.          

      L’Amour et la  Poésie sont deux faces d’une même pièce. Ils procèdent tous les deux d’une élection. En effet, on ne choisit pas d’être amoureux ; on tombe amoureux. On ne décide pas de faire de  la poésie. C’est elle qui crée le poète. Et, cet « orfèvre du langage » qu’est PSK pour parler comme le professeur Mamadou BA, est de « ceux qui ont reçu la grâce poétique en partage ». D’ailleurs « on s’en était déjà douté en lisant (…) Sabaru  Jinne ou les tams-tams du diable ! »,[3] renchérit Kesteloot. L’amour est à l’origine de tout et bien sûr de ce recueil. L’entrée en poésie se conçoit comme une  quête de l’amour et au-delà même. C’est une quête identitaire.

 L’Amour est plus qu’un art ma sœur/ (…) Ses tourments valent des paradis/Ses douceurs font pâlir les enfers.[4]  L’amour est un art.  Le « serial lover », PSK,  pour reprendre les propos du Professeur Amadou LY, chante l’amour. Il se constitue chantre de la femme – laquelle est à la fois déesse, havre de paix, muse « inspirante et inspiratrice » –et utilise un vocabulaire riche et imagé. Le trésor de la langue française est employé pour célébrer la femme perçue comme le «  soleil couchant »,  l’« étoile du soir », le « jus d’orange du matin », la « décoction d’hibiscus du midi » ou encore le  « Chardonnay du soir ».

Même l’inconnu qui passe inspire le poète : « Sur le néant apparent d’un petit visage insignifiant au regard du passant sans relief artistique brille une lumière chaude et froide (…) Sous le néant trompeur d’un petit visage au regard lointain et grave, sourdent, profonds, des sentiments brûlants, forts, parfaitement sensibles pour l’oreille, visibles à l’œil jamais nu du poète ; œil habité par ce qui est de divine essence : la pénétration, l’extrémité de sensibilité de l’intelligence, en un mot l’inspiration.[1]

PSK s’invente dans la poésie (« ivre d’égards érudits ») mais aussi auprès et dans les femmes. Dans les femmes/ Je cherche un lieu  où m’affranchir de moi-même/ Où/ Avec fulgurance/ Réinventer l’amour infini […] sauver ma vie du banal/ Affranchir mon âme/ De l’oubli infernal. [2] 

L’amour qui constitue le pivot de ce recueil n’est pas un secret pour lui. L’amour est quête, conquête et jamais requête: « Allez chercher, écrit le poète, les timides assoiffées de tendresse, ou les dévotes de l’extrême, recroquevillée sur elles-mêmes, et qui se sont interdit les joies de la folie des passions, celle des caresses sans réserve, de la sensualité gourmande ! Poussez-les dans mon gouffre sans fin, mon Tonneau des Danaïdes, jamais plein comme de bien entendu, ni de fulgurances explosives… ni de retenue contrite. Elles y ont leur place.[3] Et pour cela, rien ne presse : Time is honey, not money.[4]

La poésie est une porte ouverte sur le monde et qui parle à tous les êtres de façon différente. Elle est un « passepartout ». C’est ainsi qu’aux frontières du pays de la Poésie « point de police/ On entre sans visa/ Mais [il faut passer] au poste des douanes » où les douaniers ne demandent qu’Un poème/ Ode ou épître/ Complainte ou madrigal/ Qu’importe ! Une romance/ Un triolet/ Une satire même ! / Ou un lai/ Une épigramme/ (…)/ Un psaume ou un cantique même !  Ceci montre à quel point la poésie est indispensable dans la vie de l’être humain.

Fatou Diome a écrit : On travaille mieux quand  on est amoureux (…). L’amour est une œuvre d’art, comme toute œuvre d’art, il demande à l’esprit des moments de disponibilité propices à la conception d’une harmonie.[5]

 De fait, le poète répond ainsi aux douaniers qui lui demandaient s’il avait quelque chose à déclamer : Laissez-moi un jour/ Ou deux/ Le temps de tomber amoureux/ de vivre seul sur une île. [6] Comme la poésie, l’amour n’a pas de frontières. Il vogue d’un territoire à l’autre, d’un lieu à l’autre : Rwanda, Téhéran, Dakar… telle une « colombe apatride ». Le poète chante l’amour et  déclare son

amour même dans des mots qu’il « ne fréquente pas [dans] une langue qu’ [il] ne sai[t] pas ; « Nda gukunda »[1]clame-t-il.

Le poète souffre de la  maladie d’amour qui frappe sans distinction et  qui court partout « dans le cœur des enfants de 7 à 77 ans ». Il exprime son état d’âme à travers « Solution », la chanson au titre accrocheur de Abou Thioubalo  « Gaañi man dama feebar/ Mbëgéel lama daaneel …»

La poésie et l’amour sont indissociables. Ce dernier se retrouve jusque dans le lexique et dans la formulation des titres car il y a aussi  l’amour des mots, l’amour de la création…

L’art d’aimer et l’amour de l’art

                                Et seul l’Amour crée la fleur inattendue / dans l’homme inattendu,  Amadou Lamine Sall.

     Le poète est  un être supérieur qui voit la vraie beauté où qu’elle réside : la beauté des choses, celle de la nature ou encore et surtout celle des femmes.  Le « savoir-aimer » et le savoir-être-poétique » vont de pair. Le poète doit savoir aimer la femme, « savoir montrer comment aimer ». Délicate mission. Néanmoins,

Autant le poète voit-il dans la fleur dans le soleil dans la brume, ce que l’homme ordinaire n’y voit pas – ces messages divins sur la beauté et la lumière – autant il voit – le poète – dans ces femmes-là, ces femmes sublimées par la grâce, cette beauté cachée au manant par le Créateur Suprême. Ainsi protège-t-Il ces élues de la souillure des regards profanes. Puis, Il murmure leurs lumières aux yeux des poètes, ces hommes « aux semelles de vent », ces alchimistes du verbe flamboyant ou noir, auxquels Dieu offre en partage la prérogative de création par le verbe.[2]

Il n’y a pas de doute. Être poète, procède d’une élection. La femme et la poésie seraient une. Savoir les aimer ou savoir l’aimer, c’est savoir franchir les obstacles, repousser les limites, se sacrifier, être prêt à tout pour Elle. Pour cela, il faut être [un] Laborieux prosateur/ [un] Versificateur filou/ [un] Poète par effraction/ [un] Délinquant littéraire// Par vénération astreignante/ Et Passion dévorante. [3]  Et notre poète d’ajouter : Je ne crains pas de défier tous les enfers/ Pour un peu [des] paradis [de la femme aimée].[4]

L’Art – de manière générale – et la Femme sont comme un  aimant qui n’attire que des « élus». Il faut profondément Aimer l’art pour qu’il te le retourne. Art, Amour et Ash Dona (la femme inspiratrice) sont trois aspects fondamentaux du recueil. L’amour est le socle de l’art, «  L’Amour n’est pas que joies et jouissances et lumières, ni surtout satiété, il est aussi méditation, contrition même et contention, renoncement parfois. Pourvu que ce que l’on endure ou que l’on perde le soit pour lui, et lui seul, le grand A [5]. Dieu lui-même a succombé à Son amour pour l’être humain et créa le monde pour le lui dire (…) Poètes effrontés, nous ne sommes que pâles imitateurs.[6]

      L’étude de la ponctuation, constituée pour l’essentiel de  virgules, de points d’interrogation et d’exclamation, est révélatrice de bien des choses. Les virgules, par exemple, qui organisent la construction de la phrase et permettent de marquer une courte pause lors de la lecture sont comme les épisodes qui régissent la vie de l’être humain.  Mis à part trois ou quatre poèmes qui se terminent par des points de suspension, par l’interrogation ou alors l’exclamation, seul un poème au titre explicite à savoir « Mots de têtes garantis » contient un point final.  Et le poète d’écrire : «  Le mot que je vous offre ! / Il est au commencement de tout/ Non, ce n’est pas le Verbe divin/(…) Il est de tous les temps/ De tous les modes/ Et à toutes les personnes, il est là/ […] Je vous donne un mot passe-partout/ Il est ici, prenez-le/ et le voici, enfin ! C’est …le mot.»[1]

En effet, le lecteur  se demande encore et encore pour quelle(s) raison(s) ce poème est-il le seul du recueil à avoir un point final ou plus simplement un point – hormis bien sûr, les préfaces et autres.  La quasi absence de ce signe de ponctuation défini traduirait, à bien des égards,  la continuité. Parce qu’il n’y a jamais de  finalité dans l’Art et point de barrière aussi. Et l’amour n’a pas de frontières. De fait, le titre du dernier  poème « Blues de fin » est assez démonstratif : Le poète clôt l’œuvre malgré lui. Ainsi la Création ne prend-t-elle jamais fin. L’œuvre n’est jamais achevée. L’Amour est la vie et la Poésie est  la nourriture de l’âme. De plus, le monde a besoin des poètes. Ceux-là même qui voient «  de la beauté sublime où rien n’est révélé aux yeux du passant sans rimes, sans vers, sans loupes irréelles ni boussole divine, celui qui course la vie sur une fausse piste… Une piste sans lumière radiopoétique (…)[2]

Le résumé de l’œuvre se trouverait même dans  l’agencement de quelques titres de poèmes. Á tire d’elles de Pape Samba Kane, ce « critique romantique », peut être synthétisé par les trois phrases suivantes: « Ah, ce fruit », ce fruit de « l’arbre de l’amour », vous « rendez-vous contes », il est « le caveau de mon rêve », un « rêve-surrection » et un « rêve en deux langues ». « Au pays de la poésie », dans « la chambre secrète de mon cœur », « quand mon âme pense », « je danse mes mots », avec « le chant des signes ». « M… », « ma graine d’espérance, « elle est reu-veu-nuuue », dans sa « petite robe rouge » que « j’aime », « je me poserai, enfin ».

                                        Diouma FAYE (UCAD). Dioumafaye10@gmail.com