LE SALUT PUBLIC

Pape Samba Kane

Les Lions !!! Oui, comme des lions

L’équipe nationale de football du Sénégal, qui jouait la côte d’Ivoire samedi au Maroc, était avant ce match décisif pour une qualification à la prochaine Coupe du monde, au creux de la vague. Comme jamais, ou presque, aucune autre sélection nationale de football de chez nous ne l’avait été. On faisait tous semblant d’y croire, tellement qu’on avait fini par y croire, vraiment ! Et qu’ils pouvaient y arriver. Et donc nous ramener la qualification. Personnellement, cela m’inquiétait beaucoup pour ces pauvres garçons dont, certes, la prestation au match aller, pouvait décourager du football tout amateur, même le plus forcené, mais auxquels, comme à notre habitude, nous demandions déjà trop.

Ce qui m’inquiétait pour eux, c’est qu’en fait, je soupçonnais, là aussi, comme à notre déplorable habitude, que nous ne les exaltions que pour mieux les descendre après, leur entraîneur avec eux, quand ils reviendraient de Casablanca défaits et honteux. Les Sénégalais ne vous admirent, ou ne font semblant, que pour mieux vous descendre en flamme au premier faux pas.

La preuve – et c’est une des épreuves douloureuses de ma vie -, c’est comment nous avons traité la glorieuse équipe des Fadiga, El Hadj Diouf, Salif Sadio, Aliou Cissé, Daff ; je m’en voudrais d’oublier « King Henry », et le géant au visage d’enfant, Pape Bouba Diop, qui crucifia la France lors d’un match dont seuls les commentateurs français veulent qu’il ne fût pas historique (lorsqu’ils passent sur Canal les grands moments de leur football national, agréables comme douloureux, jamais on ne voit cet épisode) ; quand ils ont arrêté de nous « exciter » – pour paraphraser l’insolent « Dioufy »-, nous avons oublié quels plaisirs et quelles joies, et quelles ivresses collectives Tony Sylva et ses partenaires nous avaient offerts en 2000 et surtout 2002.

Nous avions donc commencé à les crucifier avant même qu’ils ne dépérissent, comme tout athlète un jour, et puis nous avions préparé leur cercueil, quand un vrai monument de cercueil, le sarcophage de leur inspirateur, Bruno Metsu, dont le grand mérite est d’avoir su tirer le meilleur de ce que je nomme le Football lyrique,  si typiquement sénégalais, vint nous rappeler qui étaient ces garçons : ses compagnons ; à lui,  le géant, qui a mérité des obsèques presque nationales.

Je ne donnais donc pas cher de la peau de ces jeunes joueurs, les successeurs de la génération 2002, partis au Maroc chercher l’impossible devant une équipe ivoirienne véritable épouvantail pour le football sénégalais. Je craignais même gravement pour leur équilibre mental quand ils reviendraient ici, honteux.

Et puis, le coup d’envoi a été donné. Coup d’envoi d’un match électrique à tout point de vue. Je me suis calé dans mon fauteuil. Sadio Mané, sur son flanc gauche me donna tout de suite envie d’y rester, non pas seulement parce que c’est un excellent dribbleur et qui dribblait tout le monde, mais parce qu’il avait décidé de prendre ce match en main. Cela se voyait. Et cela réjouissait le cœur. Puis l’axe central, les deux Mbodj ! Face à l’expérience et à la ruse de Drogba, au nominé « Ballon d’or », le seul africain de cette année, Yaya Touré, cet axe défensif, comme les latéraux, ont gardé la tête froide, procédé à des relances millimétrées ; sans oublier de se battre sur tous les ballons. Comme Papis Cissé, devant, et pendant 94 minutes de jeu ; comme, au milieu, Idrissa Gana Guèye et tous les autres.

Le jeu de cette équipe m’a un moment fait penser au « Football total » de l’équipe hollandaise des Joan Cruijff, en moins vivace, certes ; et ce n’était pas plus mal. Le fait même que l’ouverture du score par le Sénégal ne soit intervenue que très tard est, de moins point de vue, un repère positif, parce signe de maturité : tout en dominant de façon ostensible les stars ivoiriennes, cette équipe de jeunes a su garder la tête froide, consciente qu’une ouverture du score par l’adversaire serait synonyme de débandade et annonciatrice d’un carton. Cependant, cette prudence tactique n’a jamais été stérilisante, et les garçons ont même été créatifs. Je ne sais pas si c’est le coaching qui a fait ça, mais si c’est le cas, chapeau bas, Monsieur !

Cependant, je suis persuadé que c’est parce qu’ils se sont décomplexés, qu’ils ont entendu la détresse des nombreux supporters sincères dans leur engagement, en un mot qu’ils ont été « piqués » dans leur orgueil (un ingrédient essentiel du Football lyrique), que ces garçons ont produit le jeu qu’ils nous ont donné à voir samedi, allant chercher au plus profond d’eux-mêmes ce qu’ils ont de meilleurs en talent et en engagement. La défense a mis Drogba sous l’éteignoir, le contraignant à tricher en simulant des blessures ; l’attaque a tant dominé la défense ivoirienne que le même Drogba était tout le temps en appui à sa défense (il a sauvé un but sur la ligne du gardien ivoirien, et c’est lui qui, presque en position de dernier défenseur, a provoqué le pénalty du but sénégalais en fautant sur Sadio Mané)

Et le deuxième but du K.-O., celui qui nous aurait qualifiés, a été manqué à la 90ème minute, alors que toute l’équipe sénégalaise était dans le camp ivoirien, jouant son va-tout. Même le but égalisateur des ivoiriens, je le vois comme le prix du « jom » payé à aller chercher ce deuxième but qualificatif, dès lors que le 1 à O ne servait strictement à rien, sauf à améliorer quelque statistique. C’est pourquoi -sûrement seront-nous de nombreux Sénégalais à le faire-, je pense que ces garçons ont rempli leur contrat samedi. Et méritent, à défaut d’être félicités, au moins d’être épargnés des critiques faciles.

Avant ce samedi, ils ont certes manqué bien des occasions de prendre leurs distances et d’éviter ces barrages qualificatifs mortels. Des matches nuls très nuls ici, des 1 à Zéro chiches, devant une faible Zambie, par exemple ; et cette débandade au match-aller de ces barrages, en Côte d’Ivoire. Là, la responsabilité de Giresse, qui n’a jamais su trouver une équipe, est forcément engagée. Je ne suis pas un fan de cet entraîneur ; ça n’a rien à voir avec sa valeur intrinsèque, que je ne connais d’ailleurs pas : c’est une affaire de feeling, de conception et d’approche du football. Guy Roux, 75 ans, entraîneur qui a porté l’équipe d’Auxerre de l’équivalent, en France, de nos « Navétanes », jusqu’aux sommets du football professionnel européen, interrogé dans un documentaire où on lui demandait de dire « en un mot » une qualité que devrait avoir un entraîneur, « ce qu’un entraîneur devrait être », a répondu : « Fou…, il devrait être fou ! »

Giresse n’est pas le modèle de l’entraîneur fou. Ce n’est pas lui qui va demander qu’on l’enterre ici, par amour du Football lyrique et de tout ce qui va avec. Mais que ceux qui veulent l’incendier ne profitent pas de cette occasion ; ça serait malvenu. C’était son meilleur match avec les Lions. Et qui sait, si ses garçons lui offrent des matches pareils à celui de samedi dernier, il va peut-être s’autoriser un grain de folie et se convertir au lyrisme. En le musclant un peu. Comme hier, les garçons ont fait…

Pour finir. Le Président Macky Sall devrait rompre d’avec cette tradition opportuniste laissée par ses prédécesseurs de ne coller à nos équipes sportives que quand elles sont victorieuses, et envoyer un message à ces garçons. Il leur rappellerait à cette occasion cette maxime de Guillaume d’Orange dont j’ai évoqué tantôt le « Football total » du royaume qu’il a fondé : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre [ce que les Lions ont illustré, samedi, lors de ce match perdu d’avance], ni de réussir pour persévérer [Ce qu’ils ont besoin de comprendre. Définitivement] ».

Pape Samba Kane