LA PERSONNALITÉ DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EN QUESTION
Par Mamadou Sy Albert et Pape Samba Kane
La personnalité d’un homme d’État demeure une des questions majeures pour comprendre le fonctionnement de l’exercice de son pouvoir, ses réussites et ses échecs. La personnalité est évidemment une matière politique changeante se modifiant suivant qu’on évolue dans les rangs de l’opposition ou qu’on exerce le pouvoir suprême étatique. Dans les deux cas de figure, la personnalité demeure une problématique complexe par sa nature humaine sensible et ses fonctions politiques froides par nature. Macky Sall, le Président de la République en exercice depuis mars 2012, représente un cas d’école. Un homme discret, effacé, à la limite timide, se double d’un homme politique rusé, intelligent, inflexible devant l’adversité, combattant redoutable de ses adversaires, sans état d’âme, et fédérateur intéressé des forces politiques de la République.
En décidant de rompre avec la majorité présidentielle libérale de Me Abdoulaye Wade, l’ancien Président de la République, Macky Sall avait surpris plus d’un observateur par cet acte de rupture volontaire ou forcé par les aléas politiques, en tout cas par son courage d’engager le combat frontal contre son ancien maître au sommet du pouvoir. Les citoyens sénégalais découvrent alors subitement une des faces cachées de l’ancien responsable des cadres du Parti démocratique sénégalais. Un homme d’État décidé.
Le profil du rebelle contraste sans aucun doute avec l’image que l’opinion se faisait de l’homme peint sous les traits d’un militant timide et discipliné dans les rangs du Parti démocratique sénégalais. Cette formation politique a connu des guerres de tranchées entre des frères ennemis avant son accession au pouvoir et pendant son exercice du pouvoir. Le Président de l’Assemblée nationale, Macky Sall, ne participera pas formellement aux guerres de positionnement au sommet de l’État ou de l’appareil libéral.
Durant son premier mandat présidentiel, la personnalité du Président de la République met en exergue une dimension nouvelle de la personnalité de l’homme. L’homme d’État a une intelligence froide du jeu politique, des rapports de force entre le pouvoir et ses adversaires et des relations entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Il a rompu avec les clivages partisans traditionnels : socialisme, libéralisme, socialisme scientifique et autre nationalisme. Par son intelligence du jeu politique, social et religieux, très fluctuant au Sénégal, au gré des divergences d’intérêts et des mésententes, il réussira à parler à tous les chefs de partis de son alliance « Benno Bokk Yaakaar » et à mettre en place des mécanismes d’une gouvernance commune des affaires publiques et des Institutions républicaines ; qui n’entame en rien ses prérogatives régaliennes.
L’exercice du pouvoir étatique a ainsi forgé une personnalité moins belliqueuse, plus ouverte à ses alliés, intelligente par ses capacités d’analyse souple des enjeux de pouvoir et ses capacités managériales à rassembler dans sa majorité des anciens frères ennemis socialistes et la gauche classique sénégalaise éclatée. Le Président de la République, Macky Sall, devient au fil de sa gouvernance du premier mandat, un homme d’État capable de rassembler autour de sa personne et de son pouvoir des forces sociales et politiques contraires. La personnalité de l’homme au sommet de l’État, c’est aussi sa capacité de nuisance inouïe dans la neutralisation de ses adversaires.
Le Président de la République, candidat à sa propre succession en février 2019, réussira un des exercices politiques les plus délicats consistant à affaiblir son principal adversaire libéral. Macky Sall se transforme en moins d’une décennie en un chef d’État capable de nouer à la fois des alliances stratégiques durables avec ses alliés et de mobiliser son énergie personnelle et l’appareil d’État pour isoler, voire neutraliser les adversaires les plus radicaux du moment.
En acceptant les retrouvailles avec l’ancien Président de la République, Me Abdoulaye Wade, le maître du jeu actuel assoit davantage sa personnalité politique et son influence. En dépit des heurts, des divergences et des adversités, le Président, réélu pour un second en février 2019, réussit la prouesse de réunir les principaux acteurs politiques et de la société civile autour des questions d’intérêt national. On ne peut présager des résultats de ces dialogues. Il n’en demeure pas moins que le chef de l’État est en train de jeter les bases d’une personnalité capable de construire des consensus politiques, des convergences d’intérêt national sources du dépassement des clivages partisans. Et surtout apte à isoler ses adversaires les plus virulents, ou tout simplement plus redoutables.
L’exercice du pouvoir étatique a fait du Président de la République, Macky Sall, un rassembleur d’un côté, de l’autre, une redoutable machine à combattre. Le chef de l’Alliance pour la République est désormais à la croisée des chemins entre le poids de sa forte personnalité dans le jeu politique et le virus de l’exercice du pouvoir étatique. Il devra choisir entre quitter volontairement le pouvoir – acte de raison humaine, éthique et historiquement viable – ou tenter de briguer un troisième mandat présidentiel – une aventure politique historiquement incertaine. Un véritable dilemme à trancher, pour un acteur politique qui se veut à la fois ambitieux, intelligent, rassembleur et rebelle. Le dilemme est assurément une partie intégrante de la trajectoire et de la personnalité des hommes d’État africains.
Mais pour un homme politique, un président de la République aussi jeune que Macky Sall, il existe forcément une troisième voie possible. À lui de scruter son propre horizon !
Mamadou Sy Albert, avec Pape Samba Kane
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