Par Mamadou Sy Albert
LA CRISE PROFONDE DE L’ÉDUCATION SEXUELLE AU SÉNÉGAL
La série de viols se conjuguant aux meurtres froids de femmes mariées, ou de jeunes filles à la fleur de l’âge, secoue de nouveau la société sénégalaise. L’indignation des femmes et des organisations féminines est à la dimension de cette actualité se transformant en un phénomène de société. Il est peut-être temps d’engager courageusement un débat national au sujet de la crise de l’éducation sexuelle et ses enjeux actuels et futurs. La famille, les acteurs de la société civile et les pouvoirs publics, démissionnaires du champ sexuel, sont fortement interpellés et devront envisager un choix éducatif face à la puissance de l’influence négative des mass-médias et d’Internet.
Le meurtre suivi ou non de viol de femmes mariées ou célibataires a surpris par son ampleur. Près d’une douzaine de femmes et de jeunes filles ont disparu sous le coup de la violence de proches ou d’inconnus. Le Sénégal a ressenti dans sa chair son basculement dans la barbarie inhumaine. Violer, puis tuer froidement n’est guère un geste anodin. Et ce geste se répète en milieu urbain et rural. Il n’est guère simple à expliquer.
Le délitement des liens familiaux, des liens conjugaux, la démence, l’impact de la crise économique et l’influence de l’Internet et des mass-médias s’enchevêtrent. On ne peut, a priori, exclure une de ces causes potentielles occasionnant des drames individuels et familiaux. Les enquêtes en cours permettront sûrement d’éclairer l’opinion à propos de la nature de ces viols, de ces meurtres et des causes véritables d’actes ignobles punis par la loi, par la culture religieuse et les valeurs de la société sénégalaise. Le viol et le meurtre touchent sans nul doute de manière directe ou indirecte à l’éducation sexuelle et aux relations humaines entre l’homme et la femme.
La multiplication de ces actes abominables bannis par toutes les composantes ethniques et religieuses du Sénégal, interroge fortement la culture sénégalaise en matière d’éducation sexuelle et à la vie familiale. Ce sont des domaines jugés très sensibles, sinon carrément tabous. La famille Sénégalaise traditionnelle et/ou moderne traite généralement ces questions sociales et culturelles sous le couvercle du divertissement, de la blague, sinon quand le drame est inévitable, celui de la « soutoura », la pudeur dissimulatrice.
On en fait rarement une question sociale, culturelle d’intérêt national, par un traitement à la hauteur des enjeux éducatifs de la société. Chaque famille se débrouille avec son approche morale ethnique, religieuse et culturelle de l’éducation sexuelle de ses enfants. La sexualité est presque hissée au rang d’un tabou social. Cette pesanteur culturelle explique du reste le déficit de connaissances des parents et de la jeunesse en matière de sexualité et de santé reproductive.
Quand on ignore le corps humain, singulièrement celui de la femme, et les risques réels de la sexualité sauvage, on n’est point à l’abri de surprises pendant la vie adulte. Des vies entières de jeunes filles ont été détruites par ignorance, par manque d’éducation sexuelle et par l’irresponsabilité de la famille et des proches. La première occasion d’un apport sexuel précoce produit ainsi assez souvent la grossesse et la vie de l’enfant sur les bancs de l’école ou de l’Université bascule inéluctablement dans la misère psychologique noire.
L’irresponsabilité et l’ignorance des jeunes filles et des garçons rivalisent avec celle des parents. Les pouvoirs publics sont certes conscients de l’impact de l’envahissement de la sexualité dans les espaces scolaires et universitaires et des grossesses précoces dans le fonctionnement de la société. Mais il n’existe pas réellement de politique nationale éducative pour sensibiliser, éduquer et former les élèves, les étudiants et les enseignants en matière d’éducation sexuelle et familiale.
Ce sont les organisations non gouvernementales et le système onusien qui tentent de faire ce travail capital de sensibilisation et d’éducation. La démission de la famille, des pouvoirs publics et de la société fait aujourd’hui de la sexualité la chasse gardée des médias. Ces derniers ont pris une place considérable dans la vie sexuelle et citoyenne des jeunes générations. Et de façon pour le moins déplorable.
Ce que ni, les parents, ni les pouvoirs ne peuvent faire, ce sont les médias et Internet qui s’en charge : éduquer les enfants à la vie adulte et à la sexualité. Les résultats de l’impact des outils de communication de masse sont visibles dans les modes de vie des jeunes, leur manière de penser la sexualité. Donnant à cette dernière une dimension insoupçonnée, la pornographie, qui se propage à grande vitesse. On fait la cour par le net. Les jeunes sont désormais déconnectés de la société, des traditions et de l’autorité des parents et des pouvoirs publics ou traditionnels.
Les mass-médias qui ont remplacé la famille, la puissance publique et les gardiens des traditions aggravent dans une large mesure la crise de l’éducation sexuelle. La banalisation de la sexualité et du sexe fait son chemin. L’éducation familiale se meurt. Le système éducatif formel est dépassé par la puissance d’influence d’Internet. Internet et les médias deviennent malgré eux des porteurs de virus menaçant les équilibres précaires de la famille et de la société. Le déracinement de la jeunesse, la dislocation de la famille vont se conjuguer à la perte des valeurs culturelles, religieuses et des habitudes. Le viol sera de l’ordre du normal. Le meurtre une manière de penser pour régler des conflits interpersonnels entre la femme et l’homme. La sexualité risque de devenir un rapport monétaire et de violence permanente.
Mamadou Sy Albert
Votre Contribution
IMPORTANT ! Nous ouvrons ci-dessous un espace d'expression pour nos lecteurs destiné à accueillir leurs avis et commentaires argumentés sur les questions d'actualité ou sujets de débats publics. Nous prions ceux qui souhaitent s'exprimer ici de le faire dans la courtoisie et le respect d'autrui, même en cas de différence de point de vue. La rédaction de psknews se réserve le droit d'accepter ou de refuser les textes proposés.