PAR MAMADOU SY ALBERT/
Le potentiel en ressources humaines, l’expérience démocratique, la volonté commune des sénégalais de bâtir un système démocratique performant et l’ouverture des citoyens sénégalais à ce qui passe dans le reste du monde représentent des leviers décisifs pour franchir une étape  capitale dans la reconstruction d’un Etat fort. Evidemment, il faudra tourner la page des démons de la division, des clivages et des intérêts de groupes politiques et socio- professionnels.

Le Sénégal vient encore de prouver à la face du monde, la vitalité de son système politique avec la dernière élection présidentielle. Les électeurs ont démocratiquement  désigné celui qui devra diriger le pays pendant les cinq prochaines années. Le Président réélu devra définir et mettre en œuvre sa politique en confiant l’exécution à un chef de gouvernement.

Ainsi vont  et fonctionnent  l’Etat et la République. La majorité gouverne, l’opposition exprime sa différence. Ce clivage est naturel et acceptable dans l’esprit démocratique et républicain. Il habite tous les sénégalais. La reconduction du Président sortant n’en pose pas moins la nécessité de réfléchir sur une question centrale. Elle transcende les clivages et les intérêts de la majorité et de la minorité dans une démocratie.

Cette question est cruciale. Elle est d’ailleurs au cœur de l’évolution de la gouvernance du Sénégal depuis des décennies. Ce pays n’a pas eu une politique intelligente, efficace  de  gestion de son capital humain. Bien au contraire. Tout au long des deux premières décennies post- indépendance, le Sénégal du Président Senghor est resté plombé par des conflits politiques et idéologiques entre les socialistes et l’opposition de l’époque

Le président Sall face à muraille

intellectuelle et politique

Ces tensions politiques, héritages post- coloniaux, ont déchiré le pays en deux composantes antinomiques et ont produit des camps déchirés, crispés et des luttes sans merci, tant au plan politique que syndical en ont résulté. Ce n’est que sous le règne du Président Abdou Diouf, que le Sénégal tentera d’ouvrir timidement le débat public sur une autre manière de gouverner, à la fois le champ politique et les ressources humaines et intellectuelles du pays.

Ici et là, la réflexion sur la gouvernance publique, moins conflictuelle, est nourrie par des acteurs politiques, par des intellectuels et par des hommes de culture. Cette réflexion n’avait point fait bouger les lignes de la fracture politique entre les socialistes et leurs adversaires traditionnels.

La réflexion sera abandonnée au fil du temps, en dépit des avancées significatives du pluralisme intégral et du sursaut national autour de l’essentiel auquel le Président Diouf a voulu donner sens et l’incarner. Puis, ce fut l’avènement de la première alternance. Ils sont nombreux parmi les intellectuels, les hommes de culture et les hommes d’affaires à avoir rêvé servir le Sénégal et le continent noir sous la poussée de la première alternance de mars 2000.

La soif de se mettre enfin au service de son pays, du continent africain et du monde par sa compétence sera vite remplacée par la déception et le renoncement à la participation à la construction de l’Etat, de la République et au développement de son pays. Le Sénégal replongera de nouveau dans un climat des adversités entre les  libéraux et des opposants socialistes, des libéraux déçus par la première alternance et de la gauche plurielle.

La deuxième alternance surgit  dans ce  climat de tensions politiques et d’adversités inconciliables. Après sept ans de règne, la seconde alternance  affiche, à son tour, des résultats quasi identiques aux gouvernances antérieures : divisions, éclatement des partis, guerre de positionnement, exclusion des ressources humaines non politiques de la gouvernance.

Le camp du pouvoir et le camp de l’opposition se font ainsi face. Le dialogue est lui-même devenu impossible entre les deux parties. La reconduction du Président sortant est- elle inscrite dans la logique infernale de ces conflits, des démons de la division et de la fracture entre le pouvoir et l’élite intellectuelle d’une part,  l’opposition de l’autre ? La question est ouverte. Le Sénégal n’aura  rien à gagner dans ces batailles sans lendemain.

facteur bloquant de  l’Etat,

de la société et des secteurs vitaux

C’est peut- être le moment de penser gouverner les ressources humaines sénégalaises. C’est l’une des faiblesses majeures des présidents de la République qui se sont succédé à la tête de l’Etat et de la République. L’Etat post- colonial n’a pas suffisamment réfléchi sur la chance inouïe du potentiel du Sénégal en ressources humaines. Ce potentiel énorme en quantité et en qualité est plus important que les partis politiques. Il est plus important que les milliers de milliards qui nous viennent depuis des décennies et des décennies de nos partenaires techniques et financiers. Ce potentiel est le socle naturel de la société sénégalaise.

Le pays dispose aujourd’hui d’une masse critique très importante en ressources humaines. Elle est à la croisée de nombreux domaines de compétences  et d’intelligence créatrice de nouveaux modes de vie et de culture. L’absence d’une  volonté politique inscrite dans la perspective de créer un cadre national de réflexion approfondie sur ce potentiel humain, technique, culturel, sa mobilisation dans un cadre du développement stratégique  et la protection de ces ressources, est sans nul doute, un facteur bloquant pour  l’Etat, la société et des secteurs vitaux du développement.

Evidemment, les clivages souvent stériles ne facilitent  guère le dépassement des héritables culturels et politiques, les passions handicapantes  et les conflits d’intérêts personnels. C’est la muraille intellectuelle et politique que le Président de la République, Macky Sall devrait franchir.

 Il a une opportunité historique avec ce deuxième mandat. C’est à lui et à lui seul d’exprimer cette volonté  de s’affranchir des pesanteurs partisanes, des clivages et d’envisager, par exemple, la création de ce cadre de réflexion stratégique et de gestion de ce potentiel humain sans lequel le Sénégal sera, inéluctablement, dépendant des ressources humaines d’autres pays.

Aucun des grands projets touchant à l’exploitation du pétrole, du gaz, des ressources naturelles du Sénégal et  des axes prioritaires du Plan Sénégal Emergent dans ses différentes facettes ne pourrait entrainer le développement, sans l’appui d’une  force intellectuelle de propositions capable d’accompagner le Sénégal vers l’émergence.

Mamadou Sy Albert