Par PAPE SAMBA KANE /

Franc CFA :

La fébrilité est une mauvaise carte

Ainsi Bruno Le Maire, ministre de l’Économie de la grande France en Afrique, de plus en plus petite en Europe et dans le monde, estime que l’avenir du franc CFA est entre les mains des pays africains. Il reste seulement que nos dirigeants prennent leurs responsabilités s’il faut l’en croire. J’ai envie de crier enfin ! Je ne le ferai pas.
Ma position sur cette question de l’abandon du franc CFA, je l’ai mainte fois  exprimée, elle recommandait la circonspection. Et pas seulement parce que je ne suis pas un spécialiste des questions économiques et financières…      Cette monnaie, certes, est devenue problématique pour les Africains, et pour mille raisons sur lesquelles il n’est point besoin de revenir. On les connaît toutes, les bonnes, rationnelles, économiques, politiques, ainsi que  – et il y en beaucoup – les mauvaises, irrationnelles et irréfléchies. Mais même ces dernières, parmi lesquelles notre orgueil blessé -mauvaise raison parce qu’elle brouille notre rationalité -, sont suffisantes pour reconsidérer cette affaire. Elles ne l’ont cependant jamais été assez, à mes yeux, pour que l’on se précipite dans ce processus, de toute façon inéluctable, de révision du statut de cette monnaie. Parce que, pour nous Africains, engager cette procédure en position de demandeur, et surtout sous la pression des foules blessées dans leur orgueil, ôterait à nos dirigeants toute marge de manœuvre, et surtout la sérénité nécessaire à pareille entreprise.

Et c’est là le cœur de ma préoccupation. La France aussi, malgré tous les avantages qu’elle tire de l’existence et du fonctionnement du CFA – avantages dont on n’ignore rien grâce à l’énervement anti-français généralisé et surmédiatisé des activistes – a aussi de bonnes raisons de vouloir la révision du fonctionnement de cette monnaie. Je ne les connais pas toutes, ces logiques qui poussent la France, aujourd’hui, à déclarer laisser la décision aux dirigeants africains. Mais y a-t-il vraiment besoin de les connaître toutes ? Le milliard d’Euro, plus ou moins, que la France verse chaque année à la BCEAO (je n’ai pas de chiffre pour la BCEAC) serait une lourde charge pour les finances de la France d’aujourd’hui. Et il y en a bien d’autres, si celle-ci n’est pas impérieuse ! Elles sont certes nombreuses, mais une seule d’entre toutes ces raisons suffirait pour plier la France cependant qu’elle éclaire sans équivoque l’existence de problématiques plus complexes sûrement pour Paris, dans un contexte géopolitique mondial en pleine mutation-recomposition.
Cette raison impérieuse et qui dissimule les autres motivations de l’ancienne puissance coloniale, en même temps qu’elle les révèle, c’est l’énervement des États partenaires de la France au sein de l’Europe. Agacement très ancien, ruminé ou confiné dans les salons feutrés de Bruxelles, et qui, étrangement, ne s’est exprimé ouvertement qu’au plus fort des agitations militantes africaines anti francs CFA. Pour commencer, par la bouche du président du Conseil italien, M. Giuseppe Conte ! Sortie stratégiquement suivie par celle de l’Allemagne par la voix d’Angéla Merkel. Et puisque ces gens-là, les Européens, et sur ces questions surtout, ne font rien au hasard, il faudra me convaincre que tout cela n’était pas pour préparer celle de Bruno Le Maire. Le ministre français de l’Économie qui vient d’abattre la carte maîtresse de ce jeu de dupe ! En déclarant que la responsabilité de sortir ou non de ce système décrié est de la responsabilité exclusive des dirigeants africains, Le Maire, au nom de la France,  transfère toute la pression sur eux. De sorte que si des négociations s’ouvraient, aujourd’hui ou demain, sur une révision ou une reconsidération totale de ce système, l’Afrique y serait en position de demandeuse. Ce n’est jamais, ça n’a jamais été, la meilleure posture dans quelque négociation que ce soit. La pression évoquée tantôt la rendra, en sus, fébrile !

PSK