Terrible point d’interrogation qui doit avoir une résonnance particulière chez nous au Sénégal où
le vieux médicament guérit des malades du coronavirus depuis trois mois. L’article ci-dessous,
du sociologue Laurent Mucchielli, publié sur son blog (MÉDIAPART), que nous reprenons sans
réserve, s’inscrit à contre courant d’une tendance dominante médiatico-affairiste que les
scrupules n’étouffent pas, et ne devrait laisser personne indifférent chez nous. Le Pr Seydi, dans
une interview ( L’Obs, 28/5) aux allures de réponse à l’anathème jeté trop vite par l’OMS sur ce
médicament, insiste sur le fait que ce traitement n’a jusqu’ici tué personne au Sénégal. Seydi
(chef du Service d’infectiologie de l’hopital de Fann, tutulaire de chaire à la faculté de Médecine
de l’Ucad) a depuis le début adopté, pour traiter les malades de la Covid19 avec succès, le
protocole hydroxychloroquine/azithromycine du Pr D. Raoult dont la coalition mercantiliste qui
rêve de profiter financièrement de la pandémie entend signer l’arrêt de mort, avec ce fameux
article du Lancet, qui fait exploser la bulle médiatique. Mucchielli en démonte, ci-dessous, avec
rigueur et munitie, mais non sans vigueur, les nombreuses faiblesses, et les dissimulations, faux
semblants et simulacres “scientifiques”.
PSK /


« Fin de partie » pour l’hydroxychloroquine ? Une escroquerie intellectuelle
26 MAI 2020
PAR LAURENT MUCCHIELLI
BLOG : LE BLOG DE LAURENT MUCCHIELLI
Durant le week-end de l’Ascension, la quasi totalité des journalistes se sont jetés sur un
article de la revue The Lancet, pour lui faire dire ce que les auteurs de cette étude espéraient :
l’hydroxychloroquine est un poison. Traduction en langage People dominant : le prof. Raoult
est un dangereux charlatan. Ce traitement médiatique est honteux. Et cette étude est une
escroquerie intellectuelle.
La Science, c’est un peu comme Dieu, certains parlent en son nom quand ils veulent croire que
leur argument est « définitif ». Las, les choses sont un peu plus compliquées. L’idéal scientifique
existe bien entendu, dans toute sa noblesse, et on le défend ici. Mais la seule réalité tangible, ce
sont les chercheurs. Et ils ne sont pas toujours incorruptibles.
Ce week-end de l’Ascension (décidément !) aura été marqué par une nouvelle vague de discours
commentant l’idée selon laquelle une publication majeure démontrerait que le protocole
thérapeutique de l’équipe du professeur Raoult serait non seulement inefficace, mais de surcroît
dangereux. On peut parler d’une sorte d’offensive industrialo-médiatico-politique majeure et
réussie tant la couverture donnée à un article de la revue médicale anglaise The Lancet a été
totale, ultra-rapide, uniforme et immédiatement suivi d’un effet politique. A cela quatre raisons
majeures. La première est le « coup scientifique » parfaitement réussi par quatre médecins
financés par des industriels. La seconde est la machine à copier-coller qu’est devenue le
journalisme contemporain. La troisième réside dans le mélange de couardise et d’hypocrisie
de tous celles et ceux qui sont prêts à sauter sur n’importe quel argument pour conforter leur
opinion initiale, sans jamais la questionner ou la mettre à jour. La quatrième raison est que le
ministre de la Santé, Olivier Véran, en a profité pour annoncer tout de suite (sur twitter, le 23
mai à 12h47) : « Suite à la publication dans The Lancet d’une étude alertant sur l’inefficacité
et les risques de certains traitements du #COVID-19 dont l’hydroxychloroquine, j’ai saisi
le @HCSP_fr pour qu’il l’analyse et me propose sous 48h une révision des règles dérogatoires
de prescription ». Comme s’il n’attendait que ça, et en passant par-dessus l’Agence Nationale de
Sécurité du Médicament dont c’est pourtant la fonction. Une précipitation étonnante, d’autant
qu’on a connu le même ministre beaucoup moins rapide sur d’autres sujets importants, la
question des masques par exemple…
Le grand concert médiatique
L’offensive débute vendredi 22 mai en fin d’après-midi, veille de week-end et au milieu d’un
« pont » (donc il y a moins d’infos et moins de journalistes dans les salles de rédaction),
probablement comme d’habitude par des dépêches d’agences de presse, ensuite reprises
en boucle sur le thème « Covid: hydroxychloroquine et chloroquine pas efficaces et même
néfastes, selon une étude ». Les articles tombent les uns après les autres sur les sites des
grands quotidiens : Libération (22 mai, 18h36), Le Figaro (22 mai, 19h30), Le Parisien (22
mai, 19h35), Le Monde (22 mai à 21h19). Les radios ne sont pas en reste dans la soirée (par
exemple RTL 22 mai à 21h55).
Dès le lendemain matin (23 mai), le relais est pris par les radios-télévisions et, par ailleurs,
par la presse quotidienne régionale (par exemple Le Télégramme et La Voix du Nord, d’autres
comme La Dépêche avaient même réagi dès la veille au soir). Pour France Info, c’est « une étude
inquiétante » (à cause des effets mortels) qui est sortie. Sur BFMTV, on a bien invité Philippe
Douste-Blazy qui critique la méthodologie de l’étude du Lancet (avec une erreur d’interprétation,
corrigée par l’ancien ministre de la santé sur twitter) et dénonce clairement les conflits
d’intérêt avec les industries pharmaceutiques. Mais pendant qu’il parle s’affiche en gros titre en
bas de l’écran : « Chloroquine : l’étude accablante ».
Les « JT » de 20h de TF1 et France 2 viendront clôturer deux jours d’intense diffusion dont la
teneur générale semble avoir été résumée par Le Point : « Covid19 et hydroxychloroquine : fin de
partie ? » (23 mai, 9h51).
Confirmant la règle, on ne trouve guère d’exceptions. Citons quand même la chaîne de télévision
LCI et Sud Radio, comme s’en explique une éditorialiste commune aux deux médias, Françoise
Degois : « voilà le déchaînement des raisonnables, des progressistes, des sages, des pondérés,
qui envahissent les plateaux et ricanent : voyez, on vous l’avait bien dit ! C’est terminé pour le
sorcier Raoult, les complotistes, les populistes, vous êtes cuits ! Comme si on ne pouvait pas
avoir de la sympathie pour le goût et la passion de sauver des vies de Didier Raoult sans être
complotiste, populiste et irrationnel ! (…) lyncher Didier Raoult, sur la base de cette étude est
assez grotesque ». Citons aussi TV5-Monde, sous la plume de Oumy Diallo et pour cause : ce
journaliste couvre d’ordinaire l’actualité des pays africains et du Proche-Orient, il échappe donc
au marigot franco-français (ce qui n’est pas le cas de Courrier International).
Sur les réseaux sociaux, certains journalistes se « lâchent » encore plus. C’est par exemple
le cas de Fabrice Arfi, membre important de la rédaction de Mediapart et journaliste influent
(230 000 abonnés sur twitter), qui, dès le 22 mai au matin, consacre pas moins de 4 tweets au
sujet (bigre !) sur un ton méprisant : « Une étude réalisée à partir de 15.000 cas et publiée dans
une revue de référence démontre, comme cela a déjà été avancé, que le traitement vanté par
Didier Raoult, de nombreux politiques français et Donald Trump est inefficace contre le Covid. La
science contre la croyance » (tweet du 22 mai, 9h27). Le but est bien entendu aussi de justifier
la position prise dès le début de cette affaire par la direction de ce journal d’investigation
d’ordinaire peu conformiste mais qui se révèle ici encore moins critique ou nuancé que les
médias mainstreamqu’ils dénoncent habituellement : « Et cette étude montre que la Chloroquine,
en plus d’être inefficace, est potentiellement dangereuse pour lutter contre le Covid. Exactement
ce que @p_pascariello avait, comme d’autres, raconté dans Mediapart avant de devenir la cible
d’un harcèlement de croyants pro-Raoult » (tweet du 22 mai, 9h31). On sent le journaliste très
impliqué.
Tous ces articles, sujets, chroniques, etc., disent la même chose. La seule réflexion
méthodologique qu’ils contiennent parfois est celle que les auteurs de l’article
du Lancetreconnaissent eux-mêmes explicitement : leur étude n’est pas randomisée. Personne
ne va plus loin. On cherche désespérément les « journalistes scientifiques » capables d’analyser
le papier du Lancet avec un tant soit peu d’esprit critique.
L’étude du Lancet : énorme quantité, infime qualité
Ce sont à l’évidence les chiffres qui ont impressionné les journalistes : les 4 auteurs de l’article
du Lancet (bizarrement des cardiologues voire chirurgiens cardiovasculaires et non des
infectiologues ou des épidémiologistes) annoncent avoir analysé 96 032 dossiers médicaux
émanant de 671 hôpitaux sur les 6 continents. Cela peut impressionner les esprits faibles. Le
problème est que la quantité ne fait pas la qualité. Loin s’en faut.
Comment une telle étude a-t-elle pu être réalisée, doit-on d’abord se demander ? Les dossiers
de malades ont été étudiés jusqu’au 14 avril, et l’article est publié définitivement le 21 mai, signé
par 4 auteurs (trois américains et un suisse). Des sur-hommes ? Quiconque a un peu de pratique
scientifique se dit immédiatement qu’il est juste impossible d’avoir, en moins de 5 semaines, fait
à quatre la sélection de 96 000 dossiers de malades provenant de 671 hôpitaux sur 6 continents
dans une base de données (dont on ne sait rien, on va y revenir), le nettoyage de ces données et
leur codage uniformisé dans une base destinée à la publication scientifique, l’analyse statistique,
la rédaction de l’article, le processus de reviewing (qui suppose normalement plusieurs
allers-retours entre les auteurs, les évaluateurs et la rédaction en chef de la revue) et finalement
la publication. Ce serait en réalité impossible si, derrière les 4 signataires de l’article, ne
se cachait pas une armée de petites mains ayant constitué un fichier, fait les traitements
statistiques et probablement écrit en partie l’article. Et il ne peut y avoir qu’une seule armée :
celle des sociétés qui ont financé cette étude, qui a dû coûter des centaines de milliers voire des
millions d’euros. Ceci est en partie indiqué à la fin de l’article : l’analyse statistique a été réalisée
par la société (Surgisphere Corporation, spécialisée dans « l’intelligence artificielle et le Big
Data destinés aux prestataires de soins de santé ») créée par l’un des 4 auteurs (et qui fabrique
aussi des tests contre le Covid). Le Dr Mehra, auteur principal de l’article, déclare avoir reçu des
fonds d’une douzaine de laboratoires et d’industriels (Abbott, Medtronic, Janssen, Mesoblast,
Portola, Bayer, Baim Institute for Clinical Research, NupulseCV, FineHeart, Leviticus, Roivant et
Triple Gene). Un troisième auteur a travaillé pour les industriels même si c’est son université qui
a été payée et non lui. Finalement seul 1 des 4 auteurs « declares no competing interests » (ne
déclare aucun intérêt concurrent). Or cette déclaration obligatoire est à la fois révélatrice mais
aussi largement incomplète, on y reviendra à la fin de cet article. Mais pour l’heure, examinons le
contenu.
On a donc voulu faire ici de la quantité pour la quantité. Mais en agglomérant forcément des
données très disparates, très hétérogènes, issues de pays ayant des protocoles différents,
des indicateurs de santé et des systèmes de contrôles (monitoring) de ces indicateurs en
partie différents. Les auteurs de l’article ne peuvent du reste pas le cacher : il y a beaucoup
de « missing values » (valeurs manquantes). Et ceci n’est pas un « détail ». C’est au contraire
extrêmement important. Pour au moins trois raisons :
1- On ne connaît pas l’histoire des malades, on ignore la date de leur infection au Covid, on n’est
pas certain que toutes les comorbidités possibles aient été dépistées dès leur entrée à l’hôpital
(et on verra que quand elles le sont, les chiffres donnés ne sont pas crédibles).
2- Les dosages et les durées de traitement ne sont pas systématiquement précisées alors que
ce sont deux critères absolument fondamentaux pour pouvoir juger l’intérêt d’un traitement
ainsi que ses éventuels effets secondaires néfastes. Pour exemple, parmi ces 96 000 patients,
les auteurs ont inclus la cohorte qui avait déjà donné lieu à une publication lamentable
(dont on a parlé sur ce blog en avril) portant sur des vétérans de guerre, très âgés et très à
risques, tous hospitalisés dans un état grave, pour lesquels l’administration à forte dose de
l’hydroxychloroquine est évidemment totalement contre-indiquée !
3- Un flou règne sur la nature exacte des médicaments prescrits : les auteurs parlent de 40% de
coprescriptions d’antiviraux (et donc pas uniquement la chloroquine ou l’hydroxychrloroquine,
mais quels sont ces autres antiviraux ?) et d’une association avec famille d’antibiotique (les
macrolides) et non avec l’antibiotique précis (l’azithromycine) du protocole Raoult. Et d’ailleurs,
au passage, pourquoi cette focalisation sur le protocole Raoult alors que la méga-base de
données hospitalière utilisée contient nécessairement des patients traités avec aussi d’autres
médicaments (Kaletra et surtout… Remdesivir) ? Pourquoi si ce n’est parce que l’intention
fondamentale de l’article (et ce sur quoi portera bien toute la communication faite autour
de l’article une fois publié) n’est pas d’évaluer les thérapeutiques du Covid en général mais
d’essayer de discréditer le protocole Raoult en particulier ? Au demeurant, les taux de mortalité
et d’accidents cardiaques à l’issue des traitements (spécialement ceux qui combinent
chloroquine/macrolide et hydroxychloroquine/macrolide) sont énormes (22 à 24% de mortalité !
près de 50 fois plus qu’à l’IHU de Marseille !), du jamais vu. Ils sont manifestement destinés à
faire peur. On n’a jamais rien vu de tel dans les études sur le sujet.
Au final, comment prétendre tirer parti de cette étude pour démontrer la nocivité de
l’hydroxychloroquine lors même que, de l’aveu final des auteurs : « Bien que nous ayons
évalué la relation entre les régimes de traitement médicamenteux et l’apparition d’arythmies
ventriculaires, nous n’avons pas mesuré les intervalles QT, ni stratifié le schéma d’arythmie
(comme la torsade de pointes). Nous n’avons pas non plus établi si l’association entre le risque
accru de décès à l’hôpital et l’utilisation des traitements médicamenteux est directement liée au
risque cardiovasculaire, ni effectué une analyse dose-réponse des risques observés ». En clair :
ils ne peuvent établir strictement aucune relation de causalité quelconque entre les traitements
et les éventuels problèmes cardiaques constatés. Tout ça pour ça ? Et la suite est pire.
Une étude en fin de compte nettement plus faible que celles de l’IHU de Marseille
En réalité, cette charge anti-hydroxychloroquine et son intense médiatisation rejouent une
partition déjà entendue maintes fois depuis le mois de mars. On refait le coup de l’étude portant
des patients déjà sévèrement atteints, donc pour lesquels on sait depuis 3 mois qu’il est inutile
voire dangereux d’appliquer le protocole marseillais conçu au contraire pour traiter les malades
dès le début afin de prévenir l’aggravation et l’hospitalisation. Mais ce qui est grave ici, c’est
que les auteurs cherchent assez grossièrement à le dissimuler. Ils laissent en effet entendre
qu’en étudiant uniquement des patients à qui le traitement a été administré dans les 48h suivant
le diagnostic lui-même réalisé après leur hospitalisation, il évalue une thérapeutique précoce
comparable au protocole marseillais. C’est une supercherie car nous ne savons rien de la date à
laquelle les malades ont été infectés (et c’est cette dernière qui est la seule référence pour juger
de l’efficacité ou non du traitement IHU), ni même de la date à laquelle a été fait le diagnostic
après leur entrée à l’hôpital (et selon les pays et l’état d’encombrement des hôpitaux cette
date a nécessairement varié). Les biais potentiels sont énormes. Au lieu de les discuter avec
transparence, l’article les passe sous silence, probablement parce qu’il cherche à minimiser au
maximum la gravité de l’état des patients au moment où on leur administre le traitement.
Compte tenu de l’histoire naturelle de la maladie et du principal critère d’hospitalisation tant
en Europe qu’aux USA (le besoin d’un supplément d’oxygène), les patients hospitalisés sont
symptomatiques depuis au moins une semaine au moment de leur admission. Généralement,
il faut ensuite ajouter 1 jour pour obtenir le résultat du test par PCR et 2 jours de délai jusqu’au
début du traitement comme critère d’inclusion dans l’étude. Au final, on peut donc estimer que
le traitement est institué à plus de 10 jours du début des symptômes (et non 2 comme pourrait
le croire un lecteur naïf). Et à ce stade, on est entré dans la phase critique de la maladie (entre
le besoin d’un supplément d’oxygène et l’orage cytokinique), où l’IHU de Marseille dit lui-même
depuis le début que son traitement ne sert plus à rien. Dire ou laisser entendre que cette étude
permet de l’évaluer en quoi que ce soit est juste malhonnête.
Du côté des commentateurs de cette étude, l’honnêteté n’est hélas pas non plus au rendez-vous.
Le reproche principal (après sa personnalité) adressé à D. Raoult depuis le début est son refus
de pratiquer la randomisation pour faire seulement de l’étude observationnelle. Or cette étude
du Lancet n’est pas randomisée ! Mais qui en a fait un argument majeur contre cette étude ?
Personne ou presque. Enfin, cette étude n’est pas une méta-analyse. Ce n’est qu’une agrégation
d’un maximum d’effectifs aussi disparates soient-ils, pour donner une illusion de puissance
statistique. Du Big Data low cost en quelque sorte. Ce qu’est du reste généralement le Big Data.
Alors à choisir, si nous étions sérieux (c’est-à-dire objectifs, respectant le principe de symétrie et
non pratiquant le « deux poids, deux mesures »), quoi préférer ? Une étude observationnelle sur
96 000 dossiers papiers triés on ne sait comment, on ne sait pourquoi et on ne sait par qui dans
671 hôpitaux de 6 continents, par des cardiologues qui n’ont jamais soigné un seul malade du
Covid ? Ou bien une étude observationnelle comme celle de l’IHU, qui porte sur 4 000 personnes
bien réelles suivis dans le même hôpital par les mêmes médecins au jour le jour ?
Il faut cesser de sacraliser la Science et analyser le travail réel et concret des scientifiques
Outre qu’il faut toujours prendre le temps de lire les articles en détail (et non les résumés en
vitesse), il faut aussi regarder les annexes et les tableaux. Et à la lecture de cet article du Lancet,
un tableau étonne beaucoup. Sans doute pour donner une apparence de cohérence à cet
ensemble fait de bric et de broc, il semble que les auteurs (i.e. les petites mains de la société
d’intelligence artificielle et de Big data qui ont fait le travail) aient trié les malades retenus
dans la base statistique en fonction de critères socio-démographiques (âge, sexe, origine
ethnique, indice de masse corporelle) et médicaux (coronaropathies, insuffisances cardiaques,
tabaco-dépendance, hypertension, diabètes…). Comment expliquer autrement la table 2 de
l’article, qui donne dans chacun des 5 groupes de malades comparés des pourcentages
quasiment identiques sur la totalité des critères qu’on vient d’énoncer ? Une telle perfection
est impossible dans la vraie vie des études statistiques. Il ne s’agit donc pas d’un échantillon
représentatif des malades, mais d’une population d’enquête triée sur le volet, dans le meilleur
des cas. Et dans la mesure où ce tri n’est pas explicité dans l’article, on peut parler d’une
manipulation.
Deux derniers indices achèvent de compléter ces soupçons. D’abord, la dissimulation d’une
partie de leurs conflits d’intérêt potentiels par les auteurs de l’article. Ensuite, la triste banalité
de ces filouteries, manipulations de données et autres fraudes dans la recherche médicale
contemporaine.
Dissimulation de conflits d’intérêts
Les liens d’intérêt indiqués dans l’article du Lancet sont ceux déclarés par les auteurs. De
même que les élus français déclarent – ou pas, ou seulement en partie – leur patrimoine à la
Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Ainsi que le Courrier des stratèges est
une fois encore le seul à l’avoir écrit dans le cas de l’étude du Lancet, les auteurs des articles
des revues scientifiques peuvent aussi chercher à dissimuler ces liens compromettants, ou
bien en déclarer certains et pas d’autres. Et c’est malheureusement le cas avec ce quatuor
d’auteurs qui s’efforcent notamment de dissimuler des liens avec le laboratoire américain
Gilead, principal adversaire de l’IHU de Marseille car ce dernier concurrence directement
son très cher médicament (le Remdesivir, on l’a longuement expliqué sur ce blog). Ainsi le
principal auteur de cette étude, le spécialiste de chirurgie cardiovasculaire Mandeep Mehra,
dissimule le fait que l’hôpital Brigham de Boston où il exerce est actuellement en contrat
avec le laboratoire Gilead dont il teste depuis fin mars le médicament proposé contre la
Covid : le Remdesivir. Ceci vient donc s’ajouter aux conflits d’intérêt potentiels déclarés par
l’auteur. Certaines des entreprises listées sont bien connues, comme Abbott qui participe
au financement des recherches du Dr Mehra sur les pompes cardiaques, mais qui est aussi
investi dans la fabrication des tests de dépistage de la Covid. D’autres sont beaucoup moins
connues comme l’entreprise suisse Roivant qui cherche elle aussi à valoriser actuellement son
médicament (le Gimsilumab) pour traiter les malades COVID en phase de détresse respiratoire
aigüe, que le Dr Mehra jugeait récemment « très prometteur ». Voilà donc un cardiologue
décidément très en verve dans des domaines de spécialités (autour du traitement des
différentes phases du Covid) qui ne sont pourtant pas du tout les siens. Le second auteur est
donc le statisticien de Chicago qui a créé cette société de Big Datafabriquant actuellement des
tests sur le Covid. Le troisième est le seul suisse de ce quatuor à domination américaine, le Dr
Frank Ruschitzka qui travaille à l’hôpital universitaire de Zurich. C’est à nouveau un cardiologue,
qui travaille depuis longtemps avec Abbott et Gilead (ce laboratoire subventionnant « sans
restriction » – « Unrestricted research grant » – l’hôpital de Zurich), ayant notamment testé et
publié sur son médicament contre l’hypertension : le Darusentan.
Triste banalité des filouteries, manipulations voire fraudes dans la recherche médicale
contemporaine
Un jeune collègue sociologue m’écrivait récemment : « je ne suis pas médecin et je suis obligé
de m’en référer à l’autorité scientifique que représente le Lancet ». Sympathique naïveté. Il faut
lire ce qu’a écrit Richard Horton dans le Lancet en avril 2015 car il n’est autre que le propre
rédacteur en chef de cette revue depuis 25 ans. Son diagnostic est que le corps scientifique
médical est gravement malade : « une grande partie de la littérature scientifique, peut-être
la moitié, est peut-être tout simplement fausse. Affligée par des études portant sur des
échantillons de petite taille, des effets minuscules, des analyses exploratoires non valables
et des conflits d’intérêts flagrants, ainsi que par une obsession à poursuivre des tendances à
la mode d’importance douteuse, la science a pris un virage vers l’obscurité. (…) L’endémicité
apparente des mauvais comportements en matière de recherche est alarmante. Dans leur
quête d’une histoire convaincante, les scientifiques sculptent trop souvent les données pour
qu’elles correspondent à leur théorie du monde préférée. Ou bien ils modifient leurs hypothèses
pour les adapter à leurs données. Les rédacteurs en chef des revues scientifiques méritent
eux aussi leur part de critiques. Nous aidons et encourageons les pires comportements. Notre
acceptation du facteur d’impact alimente une compétition malsaine pour gagner une place
dans quelques revues sélectionnées. Notre amour de la “signification” pollue la littérature avec
de nombreuses fables statistiques. Nous rejetons les confirmations importantes. Les revues
ne sont pas les seuls mécréants. Les universités sont dans une lutte perpétuelle pour l’argent
et le talent, des points d’arrivée qui favorisent des mesures réductrices, comme la publication
à fort impact. Les procédures d’évaluation nationales, telles que le cadre d’excellence pour
la recherche, encouragent les mauvaises pratiques. Et les scientifiques, y compris leurs plus
hauts responsables, ne font pas grand-chose pour modifier une culture de la recherche qui frôle
parfois l’inconduite ».
Au demeurant, l’histoire de la production éditoriale du Lancet a été marquée par plusieurs graves
controverses et scandales ces dernière années (ainsi que le rappelle fort justement Patrick
Champagnac, ancien de France 3, sur sa page facebook).
Six ans plus tôt, c’était la rédactrice en chef historique du New England Journal of
Medicine(l’autre revue médicale la plus prestigieuse du monde), Marcia Angell (professeur de
médecine à la Harvard Medical School de Boston) qui, dans un article du New York Review of
Books intitulé « Drug Companies & Doctors: A Story of Corruption », passait en revue une série
d’affaires de compromission de médecins avec les industries pharmaceutiques, conduisant
parfois à d’énormes scandales sanitaires. Elle concluait son article en écrivant : « Des conflits
d’intérêts et des préjugés similaires existent dans pratiquement tous les domaines de la
médecine, en particulier ceux qui dépendent fortement de médicaments ou de dispositifs. Il
n’est tout simplement plus possible de croire une grande partie de la recherche clinique publiée
ou de s’appuyer sur le jugement de médecins de confiance ou sur des directives médicales
faisant autorité. Je ne prends aucun plaisir à cette conclusion, que j’atteins lentement et à
contrecœur au cours de mes deux décennies en tant qu’éditeur au New England Journal of
Medicine ». On recommandera aussi la lecture de son livre sur le sujet, traduit en Français en
2005.
Conclusion
Il est plus qu’urgent d’en finir avec la sacralisation de la Science derrière laquelle trop de
personnes dissimulent tant bien que mal leurs intérêts ou leurs opinions personnelles, ne
se donnant jamais la peine de poser la question toute simple qui doit (malheureusement)
initier de nos jours toute discussion sérieuse sur une publication médicale : à qui profite le
résultat annoncé ?
Le Club est l’espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n’engagent
pas la rédaction.